Arrêtés, spoliés, torturés, délaissés par le Pape,
les chevaliers de l’ordre du Temple sont livrés à eux-mêmes,
face au pouvoir royal qui n’a qu’un but :
détruire leur puissance pour s’emparer de leurs richesses.
Le processus des «aveux» était enclenché. Le roi, pour en tirer une légitimité au nom du peuple et pour impressionner le pape, convoqua à Tours les Etats Généraux de 1308 qui approuvèrent la condamnation de l'ordre. Les villes de Sens, Auxerre et Tonnerre y envoyèrent leurs députés. Ceux de Sens se montrèrent violemment hostiles aux templiers.
Mais le pouvoir royal, si royal fut-il, ne pouvait rien contre le pouvoir ecclésiastique. La première commission pontificale se tint le 12 novembre 1309 à Paris. Elle avait pour but de juger l'ordre du Temple en tant que personne morale et non les personnes physiques. Pour ce faire, elle envoya dès le 8 août une circulaire à tous les évêchés afin de faire venir les Templiers arrêtés pour qu’ils comparaissent devant elle. Pressé d’en finir, le roi de France fit nommer à l'archiépiscopat de Sens un archevêque qui lui était totalement dévoué, Philippe de Marigny, demi-frère d'Enguerrand de Marigny. Celui-ci envoya cinquante-quatre Templiers au bûcher le 12 mai 1310, suite à leurs aveux extorqués sous la torture.
Sceau de Philippe de Marigny qui remplace celui des templiers (page précédente)
Archevêque debout, mitré et bénissant. Appendu à une chartre de l’an 1314.
Mais il n’y a pas qu’à Paris que le crime fleurit : à la commanderie du Saulce les interrogatoires continuent. «Le Frère Jean Quentin, frère servant du diocèse d’Autun, déclare avoir été reçu par Frère jean d’Angicourt. Après avoir accepté le jeûne et une grande austérité, après avoir fait vœux de chasteté, d’obéissance et de pauvreté, le Maître lui remit le manteau de l’Ordre. Puis il du renier Dieu et cracher sur une croix. Jean de Branles, du diocèse de Sens, fit les mêmes déclarations accablantes contre l’Ordre.» D’autres confirmations de ces accusations vont suivre, celle de Gérard de Manachivalla, toujours à Saulce, de Rigaud de Fontaines, de Jean de Sivry ou Henri de Suppin à Fontenay. D’autres ne trahiront pas l’Ordre, comme Constant de Bercenay, curé de Coulours, Pierre de Chablis, Henri de la Charité ou Simon Monfort du diocèse d’Auxerre.
Exécution des Templiers. Miniature du De Casibus virorum illustrium de Boccace
Templiers exécutés, en fuite, réfugiés à l’étranger ou ayant renié l’Ordre, il fallait désormais couper la tête de l’hydre. Une commission pontificale fut nommée pour statuer sur le sort des dignitaires de l'ordre. Devant cette commission, ils réitérèrent leurs aveux, arrachés sous la torture puis furent amenés sur le parvis de Notre Dame afin que l'on leur lût la sentence. C'est là que Jacques de Molay, maître de l'ordre du Temple, Geoffroy de Charnay, Hugues de Pairaud, et Geoffroy de Goneville, apprirent qu'ils étaient condamnés à la prison à vie.
Toutefois, Jacques de Molay et Geoffroy de Charnay clamèrent leur innocence. Pour avoir menti aux juges de l'Inquisition, ils furent déclarés relaps et remis au bras séculier. Guillaume de Nangis note, dans sa Chronique latine : «Mais alors que les cardinaux pensaient avoir mis un terme à cette affaire, voilà que tout à coup et inopinément deux d'entre eux, le grand maître et le maître de Normandie, se défendirent opiniâtrement contre le cardinal qui avait prononcé le sermon et contre l'archevêque de Sens Philippe de Marigny, revenant sur leur confession et sur tout ce qu'ils avaient avoué.»
Philippe IV le Bel : le Roi de France qui a anéanti l’Ordre du temple.
Le lendemain, Philippe le Bel convoqua son conseil et les condamna au bûcher. Le 18 mars 1314, ils furent conduits sur l'îlot aux Juifs afin d'y être brûlés vifs. Geoffroy de Paris écrivit dans sa Chronique métrique, les paroles du maître de l'ordre :
« … Je vois ici mon jugement où mourir me convient librement. Dieu sait qui a tort, qui a péché. Il va bientôt arriver malheur à ceux qui nous ont condamnés à tort : Dieu vengera notre mort. …»
Proclamant jusqu’à la fin son innocence et celle de l'ordre, Jacques de Molay s'en référa donc à la justice divine et c'est devant le tribunal divin qu'il assignait ceux qui sur Terre l'avaient jugé.
La fin tragique des Templiers a contribué à générer des légendes à leur sujet. Auraient-ils trouvé quelques écrits dans le Temple de Jérusalem remettant en question la résurrection du Christ ? Etaient-ils détenteurs de la coupe sacrée, le Saint-Graal, où aurait été recueilli le sang du crucifié ? Ont-ils caché leur considérable trésor près de Rennes-le-Château qui aurait fait la fortune de l’abbé Saunières ? Ou ont-ils encore retrouvé les restes de Jésus ramenés par la sa mère Marie et Marie-Madeleine dans la grotte de la Sainte Baume ? Etaient-ils en possession du trésor des Cathares, lui aussi disparu ? Est-il enfoui dans les souterrains de la forteresse de Gisors ? Est-il en Angleterre ?
Pour les chercheurs de trésor, les hypothèses vont bon train. De plus, certains groupements ou sociétés secrètes se réclameront par la suite de l'ordre. Mais rien n’a jamais été prouvé, si ce n’est que l’Ordre de Sion, dont le grand maître était un certain Plantard, se voulant un représentant direct de l’ordre du Temple et des Plantagenet, est un ramassis de faux documents. Pourtant, grâce aux Templiers, Maurice Druon aura écrit les plus belles pages qui nous ont fait rêver : Les Rois maudits.
Gérard DAGUIN
Documentation : Bernard Brousse SAS, Virginie Garret Cerep, 5, rue Rigault Sens. Les Templiers dans l’Yonne, Association des guides de pays de la vallée de l’Yonne. 1. Archives Départementales de l’Yonne.
Philippe et Enguerrand de Marigny,
Enguerrand de Marigny est né vers 1260 et mort pendu au gibet de Montfaucon à Paris le 30 avril 1315. Il fut chambellan et ministre du roi Philippe IV le Bel, puis grand conseiller du Roi, qui le nomma coadjuteur du royaume.
En1306, son demi-frère, fils du seigneur d’Ecouis, Philippe Le Portier de Marigny, alors secrétaire du Roi et membre de son conseil privé, reçut l’évêché de Cambrai et, en 1309, l’archevêché de Sens. Chargé du procès des Templiers, il envoie au bucher 54 frères Templiers jugés relaps le 11 mai 1310. Les hauts dignitaires passent ensuite devant une commission apostolique dont il fait partie. En 1309, Philippe le Bel nomma Enguerrand Gardien du Trésor. Sa situation devint plus délicate quand les princes du sang furent déçus par ses négociations de paix avec les Flamands. Accusé d’avoir reçu des pots-de-vin, Charles de Valois le dénonça lui-même au roi. Philippe le soutint et cette attaque n’eut aucun résultat.
La mort de Philippe le Bel, le 29 novembre 1314, fut le signal de la réaction contre sa politique. Le parti féodal, dont le roi avait considérablement bridé le pouvoir, se retourna contre lui sur qui on porta quarante et un chefs d’accusation. On refusa de l’entendre, mais comme ses comptes étaient en ordre et ne présentaient aucune irrégularité, le Roi le condamna au bannissement dans l’île de Chypre. Charles de Valois présenta alors une accusation de sorcellerie qui, bien que totalement fausse, fut plus efficace. Enguerrand refusa de se défendre face à un tribunal où l’accusateur principal n’était autre que son propre frère, l’évêque. La seule déclaration d'Enguerrand fut d'affirmer avec énergie que, dans tous ses actes, il n’avait fait que servir son roi, Philippe le Bel. Il fut condamné et pendu au gibet de Montfaucon. Un gibet construit sur son ordre….
Exécution d’Enguerrand de Marigny.
Le gibet de Montfaucon, surnommé «Les fourches de la grande justice»,
s’élevait sur une butte proche de l’actuelle place du Colonel Fabien à Paris.
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021