Une simple auberge devient l’Hôtel de Paris et de la Poste
Ouverte en 1796, l’Auberge de la Ville de Paris
va devenir au cours du XXè siècle l’Hôtel de Paris et de la Poste
et acquérir une renommée qui va attirer les grands de ce monde.
A l'époque, ce n'est qu'un projet.
Mais le tracé de la rue de la République,
en pointillé, va rogner les ailes de la bibliothéque.
Paris et Poste. Deux noms devenus indissociables, réunis en 1936 par Mr Sandré, le propriétaire de l’époque. Mais avant ? Les bâtiments du futur «Hôtel de Paris et de la Poste» appartenaient au Chapitre et faisaient corps avec les maisons du cloître qui couvrait une superficie allant de la cathédrale à la rue Pasteur, anciennement rue St Benoit. C’était une maison canoniale, composée d’une vaste cour d’entrée, d’un passage qui coupait le corps central du bâtiment et de deux ailes qu’on lui coupera en 1788 lors de la percée de la rue de la rue Royale (partie nord de la future rue de la République). Elle fut occupée de 1779 à1796 par le chanoine de Vaudricourt. Ce dernier, de son nom Jean Charles Joseph Roulin de Launay de Vaudricourt, nait en 1748. (1) Il débute sa carrière ecclésiastique comme candataire* du cardinal de Luynes avant d’être nommé chanoine en 1767. Dix ans plus tard, il est député à la Chambre ecclésiastique puis, en 1789, archidiacre de Sens. (2) Mauvais temps pour la soutane : la Terreur ne respecte rien, pas même l’hostie et notre représentant du Pape est emprisonné à deux reprises : tout d’abord d’avril à juin 1793, puis en l’An II de la République pour être remis en liberté le 23 brumaire de l’An III, la Veuve ayant, pour un bref instant, cessé de faire tomber des têtes par prêtrise. Le Ier thermidor de l’An IV (19 juillet 1796), il achète la nue propriété de la maison canoniale qu’il occupe et la loue la même année au Sieur Dominique Louge moyennant une rente viagère. (3) Ce dernier va fonder «L’Auberge de la Ville de Paris» avant d’agrandir son commerce en y joignant la maison qui portait le numéro 718 de la rue St-Benoit, occupée alors par le citoyen Martineau du Chesnoy. En 1806, le café qui était adjoint à l’hôtel s’installe rue de la Petite-Bonne-Vierge (rue Drapès).
En 1812, pendant que Napoléon fait des siennes en Russie, Louge cède son établissement à François Théodore Beaudoin qui va l’exploiter pendant 27 ans. Cessant ses activités en 1839, il décide de faire vendre aux enchères les meubles et objets qui garnissent l’hôtel : On fait savoir que le lundi 3 juin 1839, onze heures du matin précis, il sera, par le ministère de Me Florimond-L’évêque, commissaire priseur à Sens, procédé à la Halle au Blé, place Saint-Etienne à Sens, à la vente de meubles et effets mobiliers garnissant anciennement l’Hôtel de Paris. (Le journal de Sens, 1er juin 1839). Un an plus tard, son successeur, Athanase Brochot, ancien commissaire priseur, marié à Mme Colombe Compérat décède, laissant sa veuve aux fourneaux. L’année 1840 verra «l’Auberge de la Ville de Paris», devenir «l’Hôtel de Paris». Elle tiendra l’établissement en s’adjoignant un parent en 1842 et la raison sociale deviendra Veuve Brochot et Compérat. Ils céderont leur place à M. Hermann qui la laissera rapidement à Adolphe Bourgeois qui, lors de son mariage le 7 octobre 1845 avec Isaïe Lenoir «fille de confiance demeurant à Sens, rue Dauphine», est déclaré sur l’acte « Maître de l’Hôtel de Paris, y demeurant, rue Royale à Sens ».
Le propriétaire suivant, Mr Bourgenot fera paraître en février 1857 cette annonce dans le Sénonais : «L. Bourgenot, Ancien maître d’hôtel de la Poste à Chatillon-sur-Seine informe MM. Les clients de l’Hôtel de Paris que M. Bourgeois vient de lui céder la direction de cet établissement. Le service de l’hôtel qui a reçu de nombreuses améliorations offre à MM. Les voyageurs et propriétaires tout le confort désirable». (3) Le nouveau propriétaire vient de moderniser son établissement. Il l’annonce dans le Sénonais du 14 avril 1857 : «Ouverture d’un salon de 80 couverts, avec pièce de réception. M. Bourgenot, Maître de l’Hôtel de Paris prévient le public qu’il se charge des noces et repas». La réputation du lieu va grandissante, mais arrive la guerre de 1870. Les Prussiens et les Hessois envahissent la ville le 13 novembre et faute de troupe, aucune résistance ne leur est imposée. De plus, une fois installés, les soldats plus ou moins ivres, se livrent au sac et au pillage de la cité : «En un instant, l’hôtel de Paris fut envahi… Les canons furent braqués sur l’entrée, les salles à manger inondées de soldats… Tous étaient pressés. Il fallait les servir tout de suite. Toutes les portes sont ouvertes, un officier déclare à Mr Bourgenot que si on trouve des armes chez lui, il sera fusillé sur l’heure… Les perquisitions commencent… du linge est volé dans les placards, la porte de la cave forcée, les meilleurs vins emportés…». (4) Les successeurs de Bourgenot furent Lemoine père puis fils, avant 1900. Ce fut lui qui procéda à un agrandissement important de l’hôtel en construisant un étage sur le bâtiment du grand salon en bordure de la rue Pasteur. (5) Il passera la main à Roger D’Honneur qui accueillera la Reine d’Italie, le Sultan du Maroc, la Reine d’Espagne, le Prince de Monaco, la Duchesse de Chartres et autres célébrités de l’époque. Une époque qui verra une nouvelle modification de l’hôtel : le garage devient accessible par la rue Pasteur et la façade va changer d’aspect. Le porche ouvert, permettant jusqu’alors aux véhicules de passer par la cour, est transformé en hall d’accueil. Roger D’Honneur se retirera en février 1933 au profit de M. et Mme Sandré. En 1936, le bureau de PTT ouvrant à côté, «l’Hôtel de Paris» deviendra «l’Hôtel de Paris et de la Poste» à l’initiative des nouveaux maîtres des lieux qui vont, eux aussi, connaître la guerre et l’occupation allemande. Réquisitionné, l’établissement va devenir la feld-gendarmerie où seront conduits nombre de résistants avant de partir pour des lendemains sans retour.
Depuis 1980, Charles Godard, puis aujourd’hui son fils Philippe, portent haut les couleurs de «l’Hôtel de Paris et de la Poste». De nouveaux travaux ont été effectués dans les étages pour le confort des voyageurs, bar et salon ont pris des couleurs vives, la salle à manger traditionnelle s’ouvre désormais sur le jardin, de nouvelles chambres ont été crées et la terrasse rénovée. Un nouveau restaurant, Le Postillon, accueille également des clients amateurs de formules plus simples. Plus simples, mais pas au détriment de la qualité qui a fait la réputation du lieu.
Un peu partout en France, lorsqu’on évoque notre vieille ville, il n’est pas rare d’entendre : «Sens ? Ah oui ! La cathédrale et l’Hôtel de Paris…». Beau compliment pour ceux qui, depuis 1796, se succèdent.
Gérard DAGUIN
Documentation : Bernard Brousse SAS, Virginie Garret Cerep, 5, rue Rigault Sens. 1, M. Batteux, Les maisons du Cloître. 2, Bulletin de liaison de la Société Archéologique de Sens. 3, Etienne Dodet, Sens au XIXè siècle (Tome IV). 4, L’invasion Allemande dans l’arrondissement de Sens, V.Dauphiné et L.Humbert.5, Permission de voirie du 26 juin 1897.* Ou caudataire : celui qui porte la queue de la robe d’un cardinal.
La Reine d’Italie à L’hôtel de Paris : Pour avoir quitté Paris vers 10 heures, sa Majesté arriva vers midi, dans une magnifique voiture automobile qui excita l’admiration des Sénonais. Elle descendit aussitôt à l’Hôtel de Paris, accompagnée de deux dames, la comtesse et la marquise de Villamarina, du comte Guiccioli et de trois mécaniciens. Après le repas, vers 3 heures, elle se rendit à la cathédrale dont elle a admiré les heureuses proportions et a salué Mgr Ardin dur le parvis. (J.P. Serrurier, Sens d’autrefois).
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021