« Il faut mobiliser des éléments sains »
Le 10 juillet, le maréchal Pétain obtient les pleins pouvoirs. Dès lors, la droite extrême tient, pour la première fois, entre ses mains la responsabilité de la France. Toutes les sensibilités de droite se retrouvent aux affaires : la droite antirépublicaine et ligueuse imprégnée de la pensée de Charles Maurras, (qui écrira que « La décadence a pour origine un complot dont les figures emblématiques sont le Juif, le Franc-maçon, l’Etranger, le Communiste. Seule la régénération morale permettra de relever le pays : elle passe par l’exclusion de l’Autre et la mobilisation des éléments sains. L’exclusion est consubstantielle au Régime), l’ultra droite fascinée par le nazisme, venue du Parti populaire français de Doriot, la droite catholique et cléricale, la droite libérale et conservatrice, la droite technocratique issue des cercles anticonformistes des années 30. Cette coalition, écartée du pouvoir par le Front Populaire en 1936 tient désormais sa revanche. C’est ainsi que le régime de Vichy va organiser l’exclusion et l’élimination de ceux qu’il considère comme l’anti-France, en appliquant la politique des ultras des années 1880 et 1890, celle des ligues antidreyfusardes et de l’Action française.
L’épuration dans la fonction publique n’est pas en reste puisque la loi du 17 juillet 1940 ordonne de procéder à «l’élimination préalable des fonctionnaires que leurs faiblesses physiques, morales ou intellectuelles, rendraient inaptes à collaborer à la création d’un ordre nouveau». A titre d’exemple, dans l’Yonne, un arrêté préfectoral procède à la révocation de seize institutrices et instituteurs qualifiés par le Bourguignon « d’éléments hostiles à la politique du Maréchal ».
En 1927, une loi favorisant la naturalisation des étrangers résidant en France avait été adopté par le régime de l’époque. Par la loi du 21 juillet 1940, le régime de Vichy va imposer la révision de toutes celles-ci, animé par un véritable esprit xénophobe. Les conséquences sont immédiates et tous ceux qui, «étrangers» ou devenus tels par cette loi seront à leur tour, exclus de la fonction publique. Bien entendu, figurent en première place les juifs «étrangers». Les Français d’origine juive sont dénaturalisés en application de cette loi. Pour ceux qui ne seront pas dénaturalisés, Vichy en fait une catégorie spéciale, une catégorie diminuée, à part des Français. Ils feront l’objet de deux statuts particuliers, l’un en 1940 et l’autre en 1941, plus discriminatoires l’un que l’autre, qui seront le fait de l’antisémitisme profond des dirigeants de Vichy. Cette persécution des juifs sera relayée dans l’Yonne par le Bourguignon dont la rédaction fera paraître quelques textes sous la rubrique « Les juifs à travers l’histoire de France ». Parmi ceux-ci, on pourra lire : « 1190 : Les juifs nous remercient de notre hospitalité en déclenchant la révolte des Albigeois longuement préparée dans les écoles rabbiniques » ou bien encore : « 1793 : Louis XVI et Marie-Antoinette sont guillotinés. Sans les voix des députés juifs à la Convention, ce crime envers la France n’aurait pas été commis. » Enfin, cette série se terminera par cette phrase : « Le complot juif causa la guerre. Puisse la guerre éliminer cette race maudite qui, depuis le Christ, combat les chrétiens. »
Sur sa lancée, le régime de Vichy promulgue une autre loi sur la dissolution des loges maçonniques interdisant également les sociétés secrètes. Considérés comme de dangereux individus, tirant sournoisement les « ficelles » de l’Etat, les Francs-maçons sont mis à l’index. Tous les membres de la fonction publique devront signer une déclaration de non appartenance tant à la Maçonnerie qu’à ces organisations dissoutes. Un peu plus tard, en 1941, la vindicte de Vichy à l’égard de cette organisation imposera une nouvelle déclaration de non appartenance à ces mêmes fonctionnaires. Les noms des ex-dignitaires seront publiés au Journal Officiel pour être offerts en pâture aux « bons français ». Ceux qui occuperont encore des postes dans la fonction publique seront immédiatement révoqués comme seront menacés de l’être ceux reconnus coupables de fausses déclarations de non appartenance.
Depuis 1935, les tziganes, sont définis racialement par les lois allemandes. Un des critères d’appartenance à cette «race étrangère» est, comme pour les juifs, d’avoir les deux grands parents juifs ou tziganes. Dés 1938, ceux qui résidaient dans le Reich ont été internés. Mais en 1943, ils connaitront la déportation vers Auschwitz. En France, les Allemands exigeront leur internement dans des camps en zone occupée même si celui-ci avait débuté pendant la drôle de guerre afin de pouvoir contrôler le déplacement de ces populations rendues suspectes par la marginalité de leur genre de vie .
Bien que le pacte de non agression germano-soviétique ait été signé le 23 août 1939, les communistes sont aussi la cible désignée par la répression policière conjointe de Vichy et de l’occupant. Non pas comme les juifs, les francs-maçons ou les «Etrangers», mais en fonction de leur propre activité. De fait, ils sont sommés de cesser toute activité politique sous peine d’internement. Le préfet de l’Yonne, Joseph Bourgeois décide que toute découverte de tracts «entrainera l’internement administratif d’un ou plusieurs militants communistes notoirement connus». En juin 1941, L’URSS sera envahie par la Wehrmacht. Mais jusqu’à cette date, la répression anticommuniste sera essentiellement le fait de la police française de Vichy.
Gérard DAGUIN
On n’offense pas le Maréchal !
Extrait d’Un département dans la guerre 1939-1945 de C.Delasselle,
J.Drogland, F.Gand, T.Roblin, J.Rolley, Ed. Tirésias
Agé de vingt-six ans, M. Mouffron est commis des postes à Sens. Il n’a jamais fait mystère de ses opinions de gauche et a figuré sur les listes du front populaire aux élections municipales de 1935. Mobilisé le 24 août 1939 au 108e régiment d’artillerie lourde, il s’est brillamment illustré durant la campagne de France. Blessé en juin 1940, croix de guerre 1939-1940, il peut être fier de sa citation à l’ordre du régiment : « Officier de batterie plein d’allant et d’entrain. A dirigé le tir de sa batterie malgré le bombardement ennemi et notamment au cours des combats de l’Aisne, donnant à ses hommes l’exemple du calme et de la bravoure ».
Le samedi 24 mai 1941, vers 15h, une jeune femme se présente au guichet n0 2 de la poste de Sens. Elle demande un portrait du Maréchal Pétain. L’employé, Mouffron, constate que tous les portraits disponibles ont été donné (la demande était-elle si forte ou le stock restreint ?). Il n’est sans doute pas un admirateur du Maréchal. Aussi se permet-il de proférer une remarque assez crue à voix assez haute pour qu’elle soit entendue de sa cliente : Il nous fait chier…. C’est un vieux con…. Il ferait mieux d’aller vivre dans son château à son âge ».
La cliente, choquée d’une telle violence verbale à l’égard du « Sauveur de la France » s’en retourne et raconte le blasphème à qui veut bien l’entendre. L’affaire remonte jusqu’aux oreilles du sous-préfet Stéphane Leuret, grand admirateur du Maréchal et défenseur de la Révolution nationale. Le commis des postes « aux idées avancées » est aussitôt convoqué dans le bureau sous-préfectoral. Il y subit un sermon virulent dont la conclusion est sans appel : « Vous serez révoqué. Retournez à la terre ! »
Le jeudi 26 juin, le tribunal correctionnel de Sens condamne Mouffron à trois mois de prison et à la révocation. La Tribune de l’Yonne publie le verdict qui doit avoir valeur exemplaire. La révocation fut transformée par l’administration des postes en une lointaine et immédiate mutation, compte tenu des charges de famille de l’intéressé. On n’insulte pas impunément le chef de l’Etat dans la France de Vichy.
Sources :AN, Z6/166 dossier 2252 bis, dossier d’instruction du procès de Stéphane Leuret.
Date de dernière mise à jour : 02/07/2021